Sabine Sicaud

À André Gide


Le vieux village était rempli de roses,
et je marchais dans la grande chaleur
et puis ensuite dans la grande froideur
de vieux chemins où les feuilles s’endorment.

Puis je longeai un mur long et usé ;
c’était un parc où étaient de grands arbres,
et je sentis une odeur du passé
dans les grands arbres et dans les roses blanches.
 
Personne ne devait l’habiter plus...
Dans ce grand parc, sans doute, on avait lu...
Et maintenant, comme s’il avait plu,
les ébéniers luisaient au soleil cru.
 
Ah ! des enfants des autrefois, sans doute,
s’amusèrent dans ce parc si ombreux...
On avait fait venir des plantes rouges
des pays loin, aux fruits très dangereux.
 
Et les parents, en leur montrant les plantes,
leur expliquaient : celle-ci n’est pas bonne...
c’est du poison... elle arrive de l’Inde...
et celle-là est de la belladone.
 
Et ils disaient encore : cet arbre-ci
vient du Japon où fut votre vieil oncle...
Il l’apporta tout petit, tout petit,
avec des feuilles grandes comme l’ongle.
 
Ils disaient encore : nous nous souvenons
du jour où l’oncle revint d’un voyage en Inde ;
il arriva à cheval, par le fond
du village, avec un manteau et des armes...
 
C’était un soir d’été. Des jeunes filles
couraient au parc où étaient de grands arbres,
des noyers noirs avec des roses blanches,
et des rires sous les noires charmilles.
 
Et les enfants couraient, criant : c’est l’oncle !
Lui descendait avec son grand chapeau,
du grand cheval, avec son grand manteau...
Sa mère pleurait : ô mon fils... Dieu est bon...
 
Lui, répondait : nous avons eu tempête...
L’eau douce a bien failli manquer à bord.
Et la vieille mère le baisait sur la tête
en lui disant : mon fils tu n’es pas mort...
 
Mais à présent où est cette famille ?
A-t-elle existé ? A-t-elle existé ?
Il n’y a plus que des feuilles qui luisent,
aux arbres drôles, comme empoisonnés...
 
Et tout s’endort dans la grande chaleur...
Les noyers noirs pleins de grande froideur...
Personne là n’habite plus...
Les ébéniers luisent au soleil cru.

In De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898)

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